Les populations de loup s’étendent actuellement en Europe notamment en raison d’une protection juridique stricte depuis la fin des années 70. La recolonisation de nouvelles zones s’est réalisée au cours des dernières décennies, de l’Italie vers les Alpes, mais aussi de l’Europe centrale vers les plaines d’Allemagne ou de l’ouest de la Pologne. L’espèce est bien connue pour sa plasticité comportementale et sa capacité de dispersion sur de longues distances, potentiellement sur des centaines de kilomètres. Récemment, le déplacement particulièrement long d’un loup a été documenté grâce au suivi de l’espèce réalisé sur le terrain et à la coopération entre trois laboratoires d’analyse génétique en Allemagne, en France et en Espagne.
L’histoire commence avec la détection d’un loup en région Franche-Comté, dans l’Est de la France, zone où l’espèce se développe depuis environ 5 ans. Dans la journée du 17 juin 2022, un automobiliste aperçoit un canidé courant le long d’une route de la commune de Fleurey-Les-Faverney (Haute Saône, France). Identifié comme un potentiel loup, l’animal est pris en photo par l’observateur qui contacte les autorités locales. Grâce à ce signalement, un agent de l’Office Français de la Biodiversité (OFB), membre du réseau de surveillance de l’espèce en France, a réussi à récolter quelques poils sur un fil barbelé à l’endroit où le témoin a indiqué que le loup était passé. Ces poils ont été soumis à des analyses génétiques destinées au suivi de la population, parmi d’autres échantillons provenant de toute la France. Le laboratoire de référence Antagene, chargé de réaliser des analyses génétiques du loup en France, a trouvé une signature ADN appartenant à la lignée « w1 », plutôt inhabituelle pour les loups en France. En effet, les loups se sont répandus en France depuis les années 1990 à partir des Alpes italiennes, hébergeant une autre lignée génétique appelée haplotype « w22 ». Cet individu étant porteur d’une signature génétique fréquemment présente en Allemagne et dans les régions adjacentes d’Europe centrale et du Nord-Est, un échantillon a été envoyé pour analyse croisée au laboratoire de référence allemand. La validation croisée a parlé : cet échantillon correspondait parfaitement à un mâle déjà connu dans la base de données génétique allemande, et identifié sous le code GW1909m par les scientifiques de ce pays. Grâce à de précédents échantillons fécaux analysés en août 2020 par l’Institut de recherche Senkerberg, on sait que GW1909m est né dans une meute située près de Nordhorn (Basse-Saxe), à quelques kilomètres de la frontière avec les Pays-Bas. L’analyse a permis d’attribuer cet individu à sa meute de naissance, où il a été détecté à nouveau en mai 2021. Ces éléments indiquent que le loup GW1909m doit être né au printemps 2020, puisque sa meute parentale ne s’est pas reproduite avant cette année.
L’histoire continue ensuite en Espagne où un agent du Corps des Agents Ruraux du Gouvernement de Catalogne, a collecté les excréments d’un loup le 13 février 2023, dans le cadre d’un suivi réalisé avec un chien spécialement dressé pour identifier les excréments de grands carnivores. La Catalogne héberge en effet quelques loups isolés, sans aucun événement de reproduction détecté à ce jour. Sur l’un de ces secteurs, un mâle est identifié depuis 2021, et des appareils automatiques ont fourni des éléments suggérant la présence de deux animaux distincts durant l’hiver 2022-2023. L’effort de prospection accru permis de collecter un échantillon sur le versant sud des Pyrénées centrales, dans la municipalité de Villaler, province de Lérida, en Catalogne. L’analyse génétique réalisée par le laboratoire de l’Université Autonome de Barcelone confirme une lignée « w1 » faisant référence à la population de loups d’Europe centrale et orientale, ce qui était le premier cas d’une telle détection en Espagne. Dans le cadre d’une collaboration de longue date entre la France et la Catalogne sur le suivi des loups, un échantillon a été envoyé pour analyse croisée au laboratoire français Antagene, analyse qui a confirmé la correspondance avec l’individu GW1909m.
Ce cas particulier met en lumière la puissance des suivis réalisés sur le terrain et des collaborations entre les pays pour surveiller l’état de conservation des grands carnivores à large échelle, tout au long des années. Le suivi efficace des loups via la génétique moléculaire tel qu’il est mis en œuvre en Allemagne, en France et en Catalogne, ainsi qu’une collaboration scientifique entre les trois laboratoires d’analyses, ont mis en évidence le déplacement d’un loup sur 1 240 km, entre le lieu de naissance en 2020 (Allemagne) et sa dernière observation en date de février 2023 (Espagne). Il s’agit du plus grand événement de dispersion d’un loup gris jamais documenté en Europe. Auparavant, les distances de dispersion en ligne droite les plus longues concernaient 1 092 km entre la Norvège et la Finlande (Wabakken et al., 2007), 880 km entre l’Allemagne et la Biélorussie en 2009 (Reinhardt und Kluth, 2016) et 829 km entre la Suisse et la Slovaquie en 2022 (KORA, 2023).
Le loup GW1909m est un exemple de la plasticité comportementale et des capacités physiques de ce grand canidé sauvage. Son voyage est particulièrement impressionnant si l’on considère que l’animal n’a pas parcouru que de vastes zones sauvages, mais s’est dispersé sur une si longue distance à travers les paysages anthropiques de l’Europe occidentale. Bien que le sort actuel de GW1909m soit encore inconnu, il reste à voir si de futures analyses génétiques permettront de détecter à nouveau cet animal, voire sa progéniture. Les populations de loups ibériques, italiennes et centrales restent encore globalement isolées à l’exception de quelques dispersions individuelles documentées. Dans ce contexte, de tels événements de dispersion sur de longues distances sont importants car ils permettent de relier des populations de loups éloignées et d’empêcher l’isolement génétique et la consanguinité. La position intercalaire de la France est singulière pour l’avenir de la connexion entre ces lignées de loup, le suivi génétique en cours devrait permettre d’identifier les prochains mouvements d’individus et leur possible installation à terme.
Contact presse
Nicolas JEAN – Office Français de la Biodiversité – Direction des Grands Prédateurs Terrestres – nicolas.jean@ofb.gouv.fr
Rédacteurs
France
- Delphine CHENESSEAU et Maxime COQUELLE – Office Français de la Biodiversité – Direction Régionale Bourgogne Franche-Comté
- Christophe DUCHAMP – Office Français de la Biodiversité – Direction de la Recherche et de l’Appui Scientifique
- Julien STEINMETZ – Office Français de la Biodiversité – Direction Régionale Occitanie
Germany
- Sébastien Collet : Senckenberg Center for Wildlifegenetiks in Gelnhausen
- Carsten Nowak : Senckenberg Center for Wildlifegenetiks in Gelnhausen
Spain
- Gabriel Lampreave : Cos d’Agents Rural, Generalitat de Catalunya
- Santiago Palazón : Servei de Fauna i Flora. Generalitat de Catalunya
- Natalia Sastre : Autonomous University of Barcelona / UAB, Faculty of Veterinary