Dernièrement, est paru un article exposant des résultats concernant le régime alimentaire du loup en Grèce centrale (Petridou et al 2019, https://www.degruyter.com/view/j/mamm.ahead-of-print/mammalia-2018-0021/mammalia-2018-0021.xml).
De 2010 à 2012, M. Petridou et ses collègues ont prospecté une zone de 612 km² localisée au centre de la Grèce, abritant de l’élevage caprin, ovin, bovin, et un élevage de porcs avec un site ouvert de dépôt des carcasses. La présence d’ongulés sauvages y est faible. Au moins 15 loups répartis en 2 meutes évoluent sur cette zone. Les auteurs ont collecté 123 fèces de loup. L’origine « loup » de chaque fèces a été vérifiée lors de la collecte sur le terrain par l’aspect, l’odeur, l’emplacement : des méthodes que les correspondants du réseau Loup-Lynx connaissent bien, et pour plus d’informations voir l’article Cuicci et al 1996 (https://bioone.org/journals/Wildlife-Biology/volume-2/issue-3/wlb.1996.006/A-comparison-of-scat-analysis-methods-to-assess-the-diet/10.2981/wlb.1996.006.full) et la thèse de Paolo Cuicci en 1994 en italien. Cette vérification a été complétée par une analyse génétique pour 41 de ces fèces, avec un résultat conforme « loup » pour 88 % d’entre elles, ce qui confirme en grande partie la provenance correcte de ces fèces.
Chaque fèces a été décortiquée par une même personne (le premier auteur de l’article), qui avait réussi à 100 % un test en aveugle sur des poils issus d’une collection de référence. Il faut noter que la plupart des fèces (74 %) contenaient des poils d’une seule espèce.
Pour les 123 fèces et pour chaque espèce proie, ont été calculés:
- La fréquence d’occurrence : le nombre de fèces contenant l’espèce rapporté au nombre total de fèces,
- Le volume moyen : le volume total des restes d’une espèce dans toutes les fèces rapporté au volume total des fèces,
- Et surtout un indice de biomasse, qui permet d’estimer la masse de chaque proie réellement ingérée, connaissant le volume des restes dans la fèces (pour les références bibliographiques et les méthodes de calcul, se référer à l’article).
Les auteurs ont également calculé, pour chaque espèce proie retrouvée dans les fèces, un indice de préférence de la proie par les loups, qui est le rapport entre la fréquence d’occurrence dans les fèces et la disponibilité de la proie, car les auteurs ont connaissance du nombre d’animaux de chaque espèce présents sur la zone.
Les résultats montrent que le régime alimentaire du loup sur cette zone est composé principalement d’ongulés domestiques (97,2 % de la biomasse consommée), et plus particulièrement de caprins (64,9 % de la biomasse consommée). Les ongulés sauvages représentent 1,2 % de la biomasse consommée.
Les auteurs présentent l’histogramme ci-dessous, qui illustre le volume moyen consommé pour chaque type de proie :
Concernant l’indice de préférence : les caprins sont davantage préférés par les loups que les autres proies, ce qui confirme l’hypothèse que les loups ne consomment pas uniquement les proies les plus nombreuses sur le site (ovins et caprins dominent largement les effectifs pastoraux et les ovins sont environ deux fois plus nombreux que les caprins en moyenne sur l’année), mais surtout les proies les plus vulnérables (les caprins pâturant en groupes épars dans les broussailles et les ovins plutôt de façon rassemblés en milieu plus ouvert).
Une telle dépendance des loups vis-à-vis des proies domestiques a été décrite en Espagne du Nord, au Portugal et en Grèce (voir les références dans l’article).
La géolocalisation des loups de cette étude a montré que les loups visitent le site de dépôt des carcasses de porc tous les deux jours, en été comme en hiver. Les restes de porc sont trouvés dans les fèces plus fréquemment en hiver, ce qui est cohérent avec une raréfaction des autres proies domestiques en cette saison. La question du nourrissage artificiel des loups pour faire diminuer la prédation sur les cheptels est discutée par les auteurs. Cette question fait débat, voir les références citées dans l’article. Dernièrement, la convention de Berne a également émis un avis sur cette question délicate (https://rm.coe.int/recommendation-on-the-use-of-artificial-feeding-as-a-management-tool-o/16808e4cad).
Afin de détourner les loups des proies domestiques, les auteurs avancent la solution d’augmenter les populations de proies sauvages. Et il est vrai que les ongulés sauvages paraissent particulièrement rares dans cette région. Il faut noter le nombre de chiens de protection présents sur la zone : 865 chiens pour une quinzaine de loups Cependant, la solution d’augmenter le nombre de proies sauvages est également discutée car, considérant que les loups s’attaquent aux proies les plus vulnérables et pas uniquement aux proies les plus nombreuses (cf ci-avant), cette solution ne saurait être parfaite. Il faut de toute façon l’assortir de mesures de protection efficaces. Se posent selon nous deux questions : comment savoir si les faibles populations d’ongulés sauvages s’expliquent par l’abondance de chiens de protection ? Et comment savoir si les chiens de protection, abondants, sont efficaces auprès des troupeaux ?
Lors d’une prochaine publication sur ce site internet loupfrance.fr, nous présenterons l’état des connaissances sur le régime alimentaire du loup dans le contexte alpin français.
M. Guinot-Ghestem / ONCFS