Après avoir exposé les résultats d’une étude récente sur le régime alimentaire du loup en Grèce centrale, nous reprenons ici les résultats les plus à jour du régime alimentaire du loup en France.
Tout d’abord, il faut préciser que les études françaises sur le régime alimentaire du loup ont été menées dans les Alpes, et ne représentent donc pas la situation actuelle sur l’ensemble de la France.
Un important travail de calibrage des méthodes a été réalisé afin d’évaluer les biais de détermination qui jalonnent les étapes de l’analyse des fèces (voir le rapport d’Olivier Delaigue 2006), et l’article qu’il avait publié dans le bulletin du réseau Loup n°16. Cette étude a montré la très grande difficulté à reconnaître visuellement ou à déterminer des critères de discrimination des excréments de loup, même pour des correspondants expérimentés. Les résultats sont biaisés si l’on ne se sert pas de la génétique pour déterminer l’origine des fèces. Nous avons par exemple observé une surestimation de l’ordre de 4 points de la part des ongulés domestiques lorsque les excréments ne sont pas exclusivement lupins (18% tous fèces analysés confondus, contre 14% dans les excréments de loup certifiés par la génétique).
Les autres étapes de l’analyse coprologique apparaissent, quant à elles, fiables :
- Pas de biais des résultats selon les critères de recherche de fèces par les correspondants, c’est-à-dire que de ramasser des excréments selon des critères morphologiques (ex : je ramasse cette crotte car elle me paraît avoir la forme d’une crotte de loup), compositionnels (ex : je ramasse cette crotte car elle me paraît contenir des éléments d’une crotte de loup) ou métriques (ex : je ramasse cette crotte car elle me paraît avoir la taille d’une crotte de loup), parfois erronés (vérification avec la génétique), ne biaisent pas les résultats du régime alimentaire. Ce point permet de nous assurer que nous n’avons pas de biais des résultats induit par la collecte des excréments sur le terrain.
- Fiabilité de l’étape de reconnaissance des poils de proies dans les excréments, par détermination au microscope (à l’aide de collections et guides de références) après étuvage (dessiccation/désinfection) des fèces.
Les études françaises sur le régime alimentaire en lui-même ont été réalisées de façon successive comme l’explique C. Duchamp dans un article de 2014.
1) Ces travaux ont débuté assez rapidement après l’arrivée du loup en France en 1992, avec une publication en 1998 de Poulle et collègues. Cette étude porte sur l’analyse de 236 fèces récoltées d’avril 1994 à mars 1995 sur un terrain d’étude de 280 km² fréquentée par la première meute du Mercantour. Les résultats montrent que les ongulés (sauvages et domestiques confondus) constituent la base du régime alimentaire des loups, les ongulés sauvages étant davantage consommés que les ongulés domestiques (proportion de 80/20 globalement sur l’année). Parmi les ongulés sauvages, le mouflon est préféré en pendant la période d’enneigement, alors que c’est le chamois qui domine le régime alimentaire du canidé en période estivale. Cela est probablement dû au fait que le mouflon :
- a des difficultés à se déplacer quand l’ épaisseur de neige est importante,
- est grégaire et se concentre sur quelques lieux privilégiés et prédictibles durant l’hiver (zones d’hivernage),
- a tendance à se cantonner à de plus basses altitudes que le chamois durant toute la période hivernale et
- a une période de mise-bas très précoce (mars-avril) par rapport aux autres ongulés sauvages présents dans le Mercantour.
2) En 2003, Anthony Bertrand mène à nouveau un travail de DEA sur les meutes du Mercantour, qui recoupe les conclusions ci-dessus.
3) En 2006, à l’occasion de l’étude d’Olivier Delaigue nous disposions d’un jeu de données comportant 696 excréments d’origine lupine (vérifiée par des analyses génétiques), 502 provenant du Parc National du Mercantour et 196 provenant d’autres zones alpines. Ces excréments ont été récoltés sur une période s’étalant du mois d’avril 1995 au mois de décembre 2002.
4) Le travail de référence à ce jour est l’étude menée par Julie Flühr, en 2011 , exposé dans le bulletin du réseau Loup-Lynx n°27, le jeu de données brut consistait en 1357 excréments d’origine lupine – résultats génétiques à l’appui – collectés sur la période 1995-2009 à l’échelle des Alpes Françaises.
En moyenne, les ongulés sauvages représentent 76% du régime alimentaire des loups, les ongulés domestiques 16%, le restant étant composé de proies autres. Ces proportions confirment les chiffres des études précédentes. Au-delà de ces résultats généraux, cette étude met en évidence la variabilité inter-meute autour de cette moyenne : prépondérance des ongulés domestiques pour la meute de Vésubie-Roya, des mouflons et des chamois pour les autres meutes du Mercantour, avec un phénomène de report de prédation au fil des années puisque la part relative du mouflon diminue progressivement entre 1997 et 2007 au profit d’une diversification des espèces prédatées. Les chevreuils sont les proies dominantes dans les 2 meutes étudiées hors Mercantour.
5) Une dernière étude a permis de mettre en évidence également une variabilité intra-meute, c’est-à-dire au sein d’une même meute. C’est le programme prédateurs-proies (PPP) qui a eu lieu dans le Mercantour de 2007 à 2013, voir à ce sujet le dossier PPP dans la revue Faune sauvage n°306. Les actes de prédation de la meute étudiée (la Haute Tinée dans le Mercantour) ont pu être approchés finement grâce au suivi intensif et en temps réel de trois louves marquées au cours de périodes successives (2010, 2011 et 2012), contrastées en termes de saisons et de conditions climatiques. Les données récoltées ont mis en évidence des régimes alimentaires très différents pour ces 3 femelles au cours de l’étude
Un autre enseignement important de cette étude est que la pression de prédation est répartie de façon hétérogène sur tout le territoire de la meute. De plus, les zones « chaudes » (avec beaucoup de prédation) changent d’un individu à l’autre, au cours de l’année pour un même individu (effet tanière) …
Le PPP a donc confirmé que le loup est opportuniste et construit son régime alimentaire de façon à tirer parti de la vulnérabilité et de l’abondance de différents types de proies : agneaux de mouflon au printemps, chevreuils sur fort manteau neigeux, moutons lorsqu’ils sont à proximité…
Enfin, le PPP a montré que les populations de proies sauvages réagissent différemment à la prédation du loup. Mais ceci sort du sujet de cette synthèse, traitant uniquement du régime alimentaire du loup.
En perspective, le régime alimentaire du loup en France gagnerait à être étudié à nouveau, en incluant l’ensemble des zones sur lesquelles la population est aujourd’hui présente (zones de présence « hors Alpes ») et en faisant appel à des méthodes innovantes telles que le méta-barcoding qui permet d’identifier les proies grâce à leur ADN présent dans les excréments du prédateur.