En 2017, le ministère de l’Environnement avait commandé au MNHN et à l’ONCFS, une analyse des conditions de viabilité à long terme de la population de loups en France et des possibilités de prédiction de l’évolution de ses effectifs (Expertise collective 2017).
Cet objectif de viabilité de l’espèce est repris dans le Plan National d’Action sur le loup et les activités d’élevage 2018-2023. En l’occurrence, le seuil minimum de viabilité démographique retenu par l’État, pour une population au taux de croissance =1, c’est-à-dire correspondant à une population stable, est de 500 loups.
Mais la viabilité c’est quoi ? Retour sur les conclusions du groupe d’experts internationaux sur le devenir de la population de loups en France.
- Le concept de viabilité est essentiel en biologie de la conservation. Deux notions de viabilité coexistent, essentiellement différentes selon l’échelle de temps biologique considérée :
– La viabilité démographique concerne l’aptitude de la population, à moyen terme (100 ans), à résister au risque d’extinction par aléas de survie et de fécondité d’autant plus forts que les effectifs sont restreints ;
– La viabilité génétique concerne la capacité de préserver un potentiel génétique suffisant pour s’adapter à des conditions d’environnement changeantes à l’échelle des temps évolutifs.
- La viabilité d’une population étant évidemment influencée par sa tendance numérique, le premier résultat obtenu mesure la forte corrélation entre le taux de croissance des populations de loups et la mortalité totale, toutes causes confondues. Au-delà d’une valeur seuil moyenne de 34 %, le modèle utilisé prédit une décroissance des effectifs.
- Deux modèles possibles de croissance de la population de loups en France sont présentés pour prédire l’évolution des effectifs. Selon le modèle de croissance ajusté aux données de terrain, ces effectifs varient en moyenne et par an :
– de 5% avec un modèle à croissance freinée,
– à 12% sous l’hypothèse d’une croissance exponentielle.
- Si on simule néanmoins cette évolution jusqu’à l’horizon 2030, quel que soit le modèle de croissance utilisé, on note une incertitude tellement forte sur le résultat obtenu que ce dernier s’avère inutile pour toute forme de planification de la décision publique.
- Or, le nombre minimum de loups à préserver pour que la population soit exposée à moins de 10% de risques de disparaître à l’horizon de 100 ans (viabilité démographique) dépend beaucoup de la croissance. A titre d’exemple cet effectif minimum est 10 fois plus important dans le cas d’une population stable que si elle augmente d’en moyenne 12% par an.
- La notion de viabilité à très long terme peut se résumer à la préservation d’un nombre suffisant d’animaux dits génétiquement efficaces. Une revue de la littérature scientifique internationale le situe aux environs de 2500 individus sexuellement matures (donc une population totale encore plus grande).
- La question de l’échelle géographique à laquelle ces effectifs doivent être considérés n’est pas complètement résolue. Une lecture rigoureuse, et donc prudente, du cadre légal européen actuel conduirait à retenir la dimension nationale, ce à quoi l’expertise s’est volontairement cantonnée. Une autre lecture (LCIE 2008), hors cadre de l’expertise, plus à l’interface entre biologie et juridique, préconiserait une échelle transfrontalière sous condition d’un plan de conservation élaboré entre pays voisins.
- Outre l’échelle géographique, l’échelle temporelle des objectifs politiques de ce plan devrait être structurée en tenant compte des phénomènes biologiques considérés (viabilité à moyen et long terme), mais aussi de la nécessité de traiter à plus court terme opérationnel les questions liées à la coexistence du loup et de l’élevage.
- Par exemple, à court terme (annuel ou pluriannuel), l’objectif pourrait être de diminuer les dommages aux troupeaux sur les foyers d’attaques (moyens de protection, tirs dérogatoires), sans que la population de loup ne soit en décroissance; à moyen terme, l’objectif pourrait être de mieux comprendre l’effet des actions de prélèvements dérogatoires sur la démographie et l’éthologie du loup, tout en maintenant une mortalité totale inférieure au seuil de 34%. A long terme, l’objectif pourrait être d’atteindre la viabilité génétique, tout en précisant entre temps l’échelle géographique la mieux adaptée (géographie biologique versus juridique).
- Les stratégies mobilisées peuvent être structurées dans un schéma de gestion adaptative: l’État et les porteurs d’enjeux représentants de la société définissent ensemble les objectifs et les démarches nécessaires pour les atteindre ; au fur et à mesure que des actions sont intentées, le suivi de leurs effets réels sur le terrain est comparé aux effets qu’on en attendait. Le fait d’agir sur le système apporte ainsi de nouvelles connaissances sur son fonctionnement : on peut ensuite sélectionner de nouvelles actions mieux adaptées pour répondre aux objectifs fixés.
- L’analyse de viabilité montre que le seuil de 500 loups n’est pas une donnée fixe, mais une valeur dépendant entre autres du taux de croissance observé de la population. En l’occurrence, le seuil minimum de viabilité, définie comme le risque d’extinction de 10% à l’horizon de 100 ans, est de 400 à 500 animaux pour un taux de croissance = 1, c’est à dire correspondant à une population stable. La valeur annuelle du taux de croissance varie d’une année à l’autre selon les entrées et sorties d’individus dans la population (naissances, immigrations, mortalités, émigrations). Comme toute donnée modélisée depuis les données terrain, la variance interannuelle du taux de croissance n’est pas nulle, reflétant la marge d’incertitude contenue dans le jeu de données. Aussi, pour être biologiquement interprétable en matière de gestion des populations, le taux de croissance doit s’apprécier, non pas sur une base annuelle, mais a minima sur le moyen terme, c’est-à-dire sur une valeur moyenne temporelle quand cela est possible, voire sur la base de la meilleure courbe de tendance pour être encore plus juste.
Le rapport complet de l’expertise collective sur le devenir de la population de loups en France est téléchargeable ici