Lors de la saison 3 des coulisses du suivi du loup, nous avions décortiqué le travail des correspondants de terrain mis en œuvre tout au long du protocole de suivi hivernal du loup (novembre-mars), au travers des étapes permettant le relevé des indices du loup sur le terrain.
Débute alors un circuit de transmission-validation-saisie-analyse des données, dont l’issue permet d’actualiser les principaux indicateurs démographiques du suivi de l’espèce, à savoir le nombre, la localisation et le statut des Zones de Présence Permanente (les ZPP), ainsi que l’estimation de l’effectif de la population française de loup.
Cette étape clef, souvent laborieuse, dure environ 3 mois (avril-juin), et s’avère d’autant plus complexe que le nombre de territoires suivis augmente.
La transmission et la validation des fiches indice
Les données récoltées de façon standardisée à l’aide des fiches indices dédiées sont transmises aux animateurs régionaux OFB du Réseau pour une procédure de validation technique, également standardisée à l’aide des règles suivantes :
· 50% des critères sont remplis et convergent vers l’espèce loup : l’indice est retenu (R)
· Moins de 50% des critères sont remplis : l’indice est classé invérifiable (INV)
· Présence d’au moins un critère qui diverge des caractéristiques de l’espèce : l’indice est non retenu (NR)
Au cours du suivi hivernal 2019-2020, 2 354 fiches indices ont ainsi été transmises par les correspondants du Réseau. Parmi celles-ci, 51% ont été classées « retenues », 10% « invérifiables », et 6% « non retenues ». 33% des indices collectés sont des échantillons biologiques pour lesquels une analyse génétique statuera sur la conclusion technique in fine.
Les fiches indices, sous format papier à l’origine, sont depuis quelques années accessibles sous format numérique et une majorité des données transite ainsi grâce à des envois dématérialisés. Cependant, étant donné le volume de données en jeu, il existe aujourd’hui un délai incompressible d’un mois et demi entre la fin du suivi et la réception des dernières fiches par les animateurs. Ce délai devrait se réduire avec l’avènement courant 2020 d’une base de données en ligne, dans laquelle chaque correspondant pourra y saisir ses fiches qui seront directement consultables par les animateurs.
La saisie des fiches indices dans une base de données nationale
L’ensemble des indices, quelle que soit la conclusion technique attribuée, est saisi dans une base de données nationale, actuellement sous format « Access ». Cet outil est commun au suivi du loup et du lynx, à l’image du réseau unique qu’il alimente.
Depuis le début du suivi de l’espèce en France, près de 32000 indice de présence ont ainsi été compilés, dont près de 60 % classés retenus, donc techniquement attribuables à l’espèce loup.
Une des étapes de la saisie des données permet d’affecter chaque indice de présence à une entité géographique représentée par la notion de massif de présence de loup. Ainsi, suivant la localisation géographique de la donnée, l’animateur régional fait le choix du massif qui semble le plus cohérent d’après sa connaissance de la biologie de l’espèce, de la répartition des différents groupes de loup présents sur sa région et des remontées de terrain dont les correspondants lui font part. La notion de massif de présence du loup est plus large que la notion de ZPP. En effet un massif peut apparaitre une année, puis disparaitre, ou encore devenir ZPP à l’issue du deuxième hiver de récurrence d’indices sur ce territoire.
L’analyse des données et la notion d’indicateur de suivi de la population
Cette étape est considérée comme une étape clef dans la mesure où elle apporte une plus-value technique qui permet de passer d’un ensemble de données individuelles à un indicateur unique de suivi de population, suivant l’application d’un protocole strict :
– L’ensemble des indices classés « retenus » au cours de la saison hivernale (1er novembre – 31 mars) classés par massif de présence, tout d’abord projeté à l’aide d’un logiciel de SIG (système d’information géographique), afin de vérifier la cohérence de l’affectation massif établie lors de la saisie des données et permet de corriger d’éventuelles erreurs (coordonnées X/Y aberrantes, erreur d’affectation de massifs). C’est lors de cette étape et donc à l’aide de la « vue d’ensemble » qu’elle apporte (ensemble des indices sur la période de 5 mois répartis dans l’espace), que la distinction entre les massifs peut être confirmée ou non et que le statut de ZPP est attribué ou non suivant la règle de récurrence/absence d’indice pendant 2 hivers consécutifs. Chaque ZPP se voit attribué le statut de meute ou non, selon les règles suivantes : ZPP meute lorsque la reproduction a été mise en évidence lors du suivi estival précédent ou détection d’au moins 3 animaux au cours du suivi hivernal. ZPP non meute dans le cas les deux conditions ne sont pas respectées
Les ZPP et leur statut sont ainsi révisés individuellement et localisés sur une carte.
Ensuite, pour chaque ZPP répertoriée, l’ensemble des indices qui indiquent le nombre minimum de loups détecté ce jour-là à cet endroit précis est compilé afin de déterminer la valeur de l’Effectif Minimum Retenu localement pour ce groupe identifié d’animaux territoriaux. Cette valeur est utilisée dans l’étape précédente pour la détermination du statut de la ZPP (meute ou non), et la somme de l’ensemble des EMR locaux sur les ZPP constitue l’indicateur EMR proprement dit, qui permet d’estimer l’effectif global de la population lupine française.
– Cas particulier de l’actualisation CMR et calibration de la relation « EMR-CMR= pseudo CMR » : l’EMR porte bien mal son nom !
En effet, « l’Effectif Minimum Retenu » représente un indicateur de la taille de la population, et non pas le nombre total de loups, comme son appellation pourrait laisser supposer. Les effectifs détectés sont bien des minima d’animaux vivants car les loups ne se déplacent pas toujours ensemble. De plus, on ne peut pas détecter tous les animaux. La somme des EMR locaux (sur chaque ZPP), pour une année donnée ne représente pas la taille de la population totale de loups en France car les individus en dispersion n’y sont pas pris en compte, on ne compte que rarement l’ensemble des animaux d’un groupe, etc… Ainsi, la variation de l’EMR national au cours des années est utile pour suivre la tendance de l’évolution de la population de loup.
–> L’effectif estimé de la population totale de loups : la méthode dite de Capture-Marquage-Recapture « CMR » : dans la nature, le comptage exhaustif de tous les individus d’une espèce présents sur un site est impossible. C’est d’autant plus vrai pour les espèces qui couvrent un vaste territoire et dont les habitudes de vie restent discrètes comme un prédateur tel que le loup.
Il existe depuis longtemps des méthodes d’estimation des effectifs de populations d’animaux sauvages. Ces méthodes statistiques reposent généralement sur la capture d’individus (échantillon représentatif de la population), leur marquage (type collier/bague) et leur recapture ultérieure. Cette méthode porte le nom de capture, marquage et recapture (CMR). Dans le cas du loup, ce ne sont pas les individus que l’on capture mais leur ADN (grâce aux déjections, sang et poils que les animaux laissent sur le terrain) ! L’analyse de l’ADN permet d’obtenir un profil génétique de l’individu. On dit dans ce cas qu’il s’agit d’une méthode non invasive, car elle n’implique pas de manipulations de l’animal. Il serait d’ailleurs irréaliste d’envisager la capture physique des loups au regard du coût et des moyens humains à y consacrer !
Ce sont donc ces signatures génétiques individuelles capturées au cours du temps et des collectes d’échantillons sur le terrain qui, par application de modèles statistiques, vont permettre d’estimer l’effectif de loups en France (c’est là que les mathématiques entrent en jeu, notamment pour tenir compte des différences de détectabilité entre individus et estimer la part de ce qui ne peut pas être vu).
Si l’estimation des effectifs de la population française de loups par CMR demeure relativement précise, elle requiert l’analyse d’un nombre important d’échantillons génétiques bien réparti dans toutes les meutes (coût et délais élevés). Les contraintes logistiques ne permettant pas d’analyser l’intégralité des échantillons de manière suffisamment réactive en cours d’année, l’OFB applique une règle de proportionnalité entre la CMR et l’EMR, dont le facteur de corrélation est connu et réactualisé au court du temps. Ainsi cette projection permet l’estimer d’effectif de la population pour les quelques années qui suivent la modélisation CMR, en se basant uniquement sur l’EMR disponible immédiatement à l’issue de chaque suivi hivernal.
La dernière modélisation mathématique date de 2014 et un gros effort d’analyses génétique a eu lieu depuis 3 ans (près de 3000 échantillons analysés depuis 2018). Une mise à jour du modèle a été réalisée au cours du second semestre 2020 afin de proposer une actualisation des paramètres démographiques de la population.
Nous l’avons vu, le suivi hivernal loup tel qu’il est réalisé aujourd’hui en France comporte une étape de collecte d’informations sur le terrain, suivie d’un traitement des données, ces deux étapes obéissant à des règles précises (détaillées dans les saisons 3 et 4 du suivi du loup) qui constituent un protocole scientifique rigoureux dont le déroulement impose des délais souvent peu compressibles.
Le bilan de ce suivi hivernal, attendu par l’ensemble des acteurs du dossier loup permet de déterminer le statut de conservation de cette espèce protégée et d’assoir le protocole de gestion des impacts de l’espèce.
C’est ce bilan du suivi hivernal loup 2019-2020 qui vous est présenté ici.
Avec le développement géographique et démographique de la population de loups, ce niveau d’investissement méthodologique et sur le terrain trouve aujourd’hui ses limites, et l’équipe Recherche et expertise de l’OFB travaille actuellement sur le développement de méthodes alternatives pour le suivi.
P-E. Briaudet / OFB